
Les 25 et 26 juin le bureau de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) de l’Afrique de l’ouest, a réuni à Cotonou (Bénin), les experts des 15 pays de la CEDEAO pour réfléchir à l’élargissement de l’institution sous régionale avec l’adhésion du Maroc, de la Tunisie et le retour de la Mauritanie . La rencontre avait pour thème « Les implications du potentiels élargissement de la CEDEAO et la Zone de Libre Échange Continental Africaine (ZLECA) ». Nous avons eu un entretien exclusif avec Dr Dimitri SANGA, Directeur du Bureau Afrique de l’Ouest de la CEA, qui est largement revenu sur le bien fondé de cette rencontre, les implications de l’élargissement de la CEDEAO et bien d’autres sujets. Lisez l’entretien
Quelle est l’opportunité de réunir les experts pour parler du potentiel élargissement de la CEDEAO et de la ZLECA ?
Deux grands évènements passés en 2017 poussent la CEA à aller à une réunion Adho’c des experts de la CEDEAO pour réfléchir autour du thème «Les implications du potentiel élargissement de la CEDEAO et la Zone de Libre Echange Continental Africaine (ZLECA) ». Tout d’abord, les chefs d’Etat et de gouvernements de la CEDEAO lors du sommet de Monrovia ont annoncé avoir accepter la venue du Maroc au sein de la CEDEAO et ont donné mandat à la commission de la CEDEAO d’entreprendre des études approfondies et faire des analyses qui leur permettront de prendre des décisions définitives dans le futur. Ils se sont réunis en décembre à Abuja et ils ont mis en place une commission composée de chefs d’Etats qui va superviser la commission dans ses analyses qui leur permettront d’avoir une vision éclairée sur la question de l’adhésion d’un certains nombres de pays de l’Afrique du nord notamment le Maroc et la Tunisie. Le deuxième évènement, c’est la création de la zone de libre-échange continentale africaine signée par 44 pays africains. Certains ont pu signer le protocole concernant la libre circulation des personnes entre africains. Ces deux évènements ont un impact sur la question de l’intégration au sein de la CEDEAO. Le premier parle d’un élargissement potentiel et la réponse a été positive ; le deuxième, la CEDEAO qui est déjà un ensemble qui a passé à travers la zone de libre échange entre les 15 pays est au niveau des Tarifs Extérieurs Communs (TEC), et voilà qu’au niveau continental on parle de zone de libre-échange continentale. Quelles sont les implications de tout ce changement sur l’équilibre de la CEDEAO ? C’est pourquoi c’était opportun de réunir les experts des 15 pays de la CEDEAO pour des discussions ouvertes basées sur des faits de manière objective, des questions d’intégrations, les positions des nouveaux membres, l’avenir de la nouvelle zone continentale pour des pays signataires et d’autres qui ne le sont pas encore.

Quelles sont les implications de la CEDEAO par rapport à la question ?
Difficile d’avoir une réponse équivoque si ce n’est qu’après des analyses approfondies, mais ce qui est évident, il y aura des gagnants et des perdants dans l’exercice. A quel niveau ? Cela dépendra. La principale question, c’est le commerce parce que la zone CEDEAO a ses tarifs. Évidemment, lorsque vous n’avez pas de libre-échange avec les autres si vous importez des biens, il faut payer des tarifs qui vont dans les caisses de l’Etat. Certainement ces tarifs vont être perdus mais si le commerce devient volumineux et important, cela permet aux PME de l’Afrique de l’ouest de pouvoir aller vendre dans les autres pays et avoir accès à un plus grand marché. A ce moment, elles ont plus de revenus qui seront en retour utilisés dans le social. Voilà les premiers gains à première vue. Pour cela, il faut des analyses approfondies en équilibre général qui considèrent les différents secteurs pour tirer une conclusion inclusive, si c’est bien d’aller vers cette zone de libre échange ou pas et d’avoir les nouveaux membres ou pas.
Quelle est l’importance des infrastructures dans cette nouvelle intégration surtout que le commerce sera très sollicité?
Il faut remarquer que l’infrastructure est à la base du commerce. Par exemple, un pays qui produit beaucoup d’ignames, et arrive à subvenir largement au besoin de sa population peut exporter le surplus vers d’autres pays soit par la mer, avion, route! Voilà la question centrale que jouent les infrastructures dans le commerce pour atteindre peut être un marché de 100 millions de consommateurs en Ethiopie, et sous d’autres aspects la création de l’emploi et le profit réalisé par les opérateurs économiques. Mais les infrastructures peuvent poser un frein car le commerce est un ensemble qu’il faut considérer et non tout simplement comme on a un bien ou un service à vendre dans un autre pays, c’est accompagner d’une série de mesures incluant le développement des infrastructures; Nous sommes tous sous la bannière de l’Union Africaine (UA). Il y a le PIDA (Programme de Développement des infrastructures en Afrique) qui consiste à créer des corridors qui réuniraient le nord au sud, l’est à l’ouest qui existent et qui aujourd’hui soufflent des fonds d’investissement c’est pourquoi, l’UA prend des mesures adéquates pour avoir des ressources propres afin d’entamer les travaux de ces grandes infrastructures. On n’entend parler du corridor Lagos-Abidjan, Abidjan-Dakar. C’est des efforts qui démontrent que nous sommes sur le bon chemin de développer ces infrastructures et la nécessité que les pays africains entre dans des accords pour pouvoir libéraliser l’espace aérien pour permettre la fluidité des biens et des services sur le continent. C’est un ensemble d’outils qu’il faut mettre en place pour accompagner le commerce. Nos produits ne seront pas faits si l’énergie manque, c’est pourquoi l’UA a de gros projets sur le NEPAD pour redresser la situation. Le projet phare est celui d’investir dans le barrage d’INGA en RDC, qui s’il est exploité à son potentiel donnerait de l’énergie pour toute l’Afrique subsaharienne et au-delà. C’est une question de financement qui se pose. Dès l’accession du président Kagamé à la tête de l’UA, il a pour ambition que cette institution continentale ait une autonomie financière. Il faut prélever sur les importations des biens qui entrent sur le continent un petit pourcentage qui sera envoyé à l’UA pour aller dans ce grand projet. Cet engagement et les financements des partenaires permettront d’avoir les infrastructures qu’il faut pour pouvoir aller vers la transformation structurelle vivement souhaitée.
Par rapport à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO, certains pays hésitent toujours à voir sa taille industrielle et commerciale qui va anéantir les industries locales. Comment appréhendez-vous ces inquiétudes ?
Je ne donne pas un avis là-dessous mais je parle des faits. Ce sera exagéré de dire qu’il n’aura que des pertes lorsque le Maroc rejoindra la CEDEAO. Et pour conclure de façon sans équivoque, est ce que ce serait bénéfique ou pas, il faut qu’on pousse des études déjà en discussion et chacun verra les biens sur le bien-être, le PIB, les effets sur les secteurs qui vont perdre et gagner. Mais je voudrais porter à votre connaissance, dire que la venue du Maroc va tuer les industries locales, je crois que si une industrie de production marocaine est installée dans un pays, cela permettra d’abord aux populations d’accéder à ces infrastructures, la création de l’emploi, le transfert des compétences technologiques ! Tout est dans les négociations ! C’est comme dans un mariage malgré les divergences du couple, les deux époux parviennent toujours à un point de convergence.
Comment se fera cette négociation. Par pays ou en bloc ?
Il est nécessaire d’aller en bloc. Nous ne parlons pas d’un pays et du Maroc, mais toujours de la CEDEAO et du Maroc, de la Tunisie et de la CEDEAO. Bref c’est la CEDEAO dans son ensemble qui va donner l’aval pour que le Maroc puisse rejoindre le groupe ou pas. Mais les pays pourront négocier avec le Maroc à travers le protocole de la CEDEAO. Et la force, c’est que nous avons 350 millions de consommateurs, voilà la base sur laquelle la CEDEAO ira négocier avec le Maroc. Lorsque le Maroc frappe à la porte d’une organisation qui a déjà un tarif commun comme la nôtre qui dispose de 5 lignes tarifaires, le nouveau venu est obligé de s’aligner sur ce qui est fait dans l’ensemble. Tout ceci fera partie des négociations. L’intégration ne visera pas seulement les flux commerciaux, le tarif mais tout l’aspect juridique, la migration des populations, la libre circulation qu’il faut considérer dans les échanges avec le Maroc.
Quelle sera l’influence de ce partenariat sur le PIB des pays de la CEDEAO ?
La zone de libre-échange a pour but de faciliter les échanges entre les pays africains. Pour l’instant la moyenne des tarifs douaniers que nous imposons aux uns et aux autres est de 6,1% et je vous informe qu’il y a des pays asiatiques, européens et américains qui ont des tarifs bien plus bas que le nôtre sur les produits qui proviennent des pays africains. 80% des entreprises sur le continent sont des PME. Une PME qui fait face à un tarif de 6,1% de son voisin alors qu’un pays comme la Belgique exige 3%. Logiquement, un opérateur économique préférerait envoyer les produits en Belgique parce que même en tenant compte du transport, il sera toujours gagnant. Maintenant, lorsque la CEDEAO va éliminer progressivement ces tarifs, cela deviendra plus intéressant pour une PME d’envoyer ses produits juste à côté sachant que le tarif ne sera plus un problème. Voilà les réformes que nous allons faire. Et donc, en mettant tout ceci ensemble secteur par secteur, les chiffres le montrent déjà qu’il aura des gains en terme de PIB pour les 15 pays avec la nouvelle direction que prendra cette zone de libre-échange.
Source: Horizon news